Dix-huit heures. Énième répétition avant un des shows les plus importants du mois qui devait se dérouler dans une semaine. Bella était excitée et en même temps terriblement anxieuse. Pourtant les pas, elle les connaissait, le rythme s’était comme gravé dans sa mémoire, il lui suffisait d'en entendre les premières notes pour s'élancer tel un cygne sur le lac encore inerte et calme. Elle avait la scène dans la peau et pourtant, elle se voilait la face. Elle se voilait la face derrière de grands sourires adressés à la troupe avec qui elle avait vraiment sympathisé, derrière des encouragements lancés à tout va. Elle essayait d'être à la hauteur et même plus, comme d'habitude, d'avoir toujours la petite phrase qui détendrait la plus stressée, la phrase ironique pour le plus confiant afin qu'il n'oublie pas que la réputation du Moulin pourrait être en jeu, la phrase enjouée pour le technicien qui tentait de réaliser les désirs fous du directeur. Elle jouait son rôle à merveille; ça c'est pas peut dire. Même ses sœurs avec qui elle avait déjeuné n'y avait vu que du feu, comme quoi derrière un sourire il peut se cacher beaucoup de choses. Elle était tourmentée, perdue, agacée, se rejouant dans sa tête des millions de fois la scène, se maudissant à chaque fois de la tournure finale. Elle se maudissait d'avoir été faible, d'avoir été d'une bêtise folle et le maudissait, lui, d'être parti, même si une part d'elle lui assène que sa fuite était légitime. « hé! » Elle baissa les yeux. Une des danseuses et amie de Bella était étalée au sol, le bras en l'air. « tu devais me retenir j'te rappelle. il s'passe quoi Bella ? t'es distraite, c'est pas ton genre. » Elle passa d'un geste rapide sa main dans sa chevelure blonde, gênée. Elle bafouilla, cherchant ses mots et une excuse valable, avant de lui dire qu'elle était stressée du fait qu'elle avait l'impression d'avoir mal fermé sa porte d'entrée. Pour l'excuse valable, elle repassera, m'enfin. La jeune brune en face d'elle leva les yeux au ciel, amusée. « t'inquiète, ça m'fait ça tout le temps et regarde, jamais de cambrioleurs. c'est dans ta tête ma belle » Bella esquissa un sourire légèrement forcé, elle n'était pas vraiment douée pour le mensonge mais celui-ci semblait lui suffire à être convaincue. Elle l'observa reprendre les étirements tout en chantonnant la dernière de Madonna. Elle finit par hausser les épaules et en faire de même, du moment qu'elle pouvait se sortir, ne serais-ce qu'un instant, Gabriel de ses pensées. Elle s'étira longuement malgré la douleur de ses membres encore endoloris par l'effort fourni la veille, son maillot et son jogging près du corps lui permettant une totale liberté de souplesse. « go les filles, je veux qu'on revoit le début avant que satan n'arrive ! » Satan ou leur patron accessoirement. Bella releva la tête et attacha avec négligence ses cheveux en chignon. La troupe se pressa de rejoindre la scène et la musique retentit dans la vaste pièce. La mélodie enveloppa de son doux son la blondinette et celle-ci se laissa bercer, entraîner au fil des pas. La danse était son intermédiaire à elle pour exprimer l'inexprimable, le miroir de son âme en quelque sorte. Elle ne pouvait plus mentir, plus se cacher, elle redevenait cette jeune fille vulnérable aux yeux de tous. Elle oublia tout, rien que pendant ce fragment d'éternité. Mais la musique s’estompât net. Retours à la réalité. « hé, regarde, le beau brun est de retours. et je ne crois pas qu'il est là pour moi si tu vois ce que je veux dire ! » rajouta-t-elle aussitôt avant de lui décrocher un clin d'oeil. Bella sentit son cœur se figer dans sa poitrine alors qu'elle tournait lentement les yeux en direction de la salle.

Tous les efforts qu'elle avait fournis depuis le début de la journée pour oublier la nuit dernière semblèrent vains à ce moment même. Les moindres instants ressurgirent, vicieux, dans sa tête. Une veille épouvantable, des retrouvailles autours d’une bouteille de champagne, le chien qui avait fait encore des siennes vis-à-vis de Gabriel, ce fou rire complètement sincère et spontané puis leurs deux rires, son regard doux posé sur elle… et ce baiser qu’elle n’avait pu contrôler. Ou qu’elle ne voulut pas contrôler. Elle tenait très mal l’alcool, ce n’était pas nouveau, et d’ordinaire, elle prenait soin de ne jamais dépasser ses limites mais ce soir-là, elle s’était laissée aller comme jamais auparavant. Elle ne se reconnaissait pas, et se jeter ainsi sur les lèvres de Gabriel, ce n’était pas dans sa nature. Pourtant, elle ne pouvait effacer de sa mémoire ni l’intensité de cet échange fougueux qui ne dura, probablement, que quelques secondes, ni la chaleur qui s’était emparée brutalement et violemment de son corps. De ce fait, la nuit fut courte et agitée. Elle la passa à se retourner toutes les deux minutes dans son lit, jetant des regards désespérés au réveil posé sur sa table de chevet. Vers trois heures du matin, le bruit d’une porte qui se ferme avait brisé le silence qui régnait alors en maître dans l’appartement. Le regard figé vers le mur qui la séparait de lui, elle s’était mise à espérer à l’impensable sans même s’en rendre compte ; elle l’imaginait ouvrir la porte, s’asseoir à ses côtés en lui prenant délicatement la main, plongé son regard gris dans ses yeux azurs et. Et elle avait secoué la tête, en enfouissant sa tête dans l’oreiller comme pour mettre un voile épais sur la suite de ses pensés, pour y mettre un terme.

Pourquoi était-il là ? Après tout, il avait fui, lui faisant clairement comprendre que répondre à son baiser était une erreur, même si elle n’était pas totalement consciente de ce qu’elle faisait. Soudainement, elle hésitait entre un sentiment d’agacement car, depuis ce matin, elle avait tout fait pour ne pas qu’ils se croisent, quitte à se lever plus tôt, à ne pas venir manger chez elle, et l’envie de fuir à son tour afin de ne pas être, de nouveau, confronté à lui, à son regard. Mais la demoiselle fut très vite revenue à la réalité. Il était là, planté devant elle. « Bellaaaaaaa, cette fois-ci s'en est trop ! Le chien a pissé dans ma chambre, tu as intérêt à faire quelque chose avant que je le balance par-dessus le balcon. » Elle eut à peine le temps d'articuler un "quoi?" inaudible. Complètement décontenancée, la blondinette arqua fortement le sourcil, affichant un air entre surprise et agacement, de nouveau. C’était quoi ce délire ? Pour qui se prenait-il de venir interrompre ses répèt’ de cette manière ? Et d’où il la menaçait de s’en prendre à son chien ? En fond sonore, les pouffements de quelques danseuses ne firent qu’accentuer les mauvais sentiments qui grondaient en Bella, et cela, c'était très mauvais pour le jeune homme. Toute la tension qu'elle avait accumulé vis-à-vis de lui n'allait pas tarder en se transformer en colère légèrement incontrôlable. « dis, juste comme ça, tu connais le principe d'une porte ? tu sais comme quoi une porte ça s'ouvre et ça s'ferme ? t'avais qu'à la fermer, ta chambre, au lieu de tout mettre sur le dos de mon chien ! » Bien que sa voix restée relativement calme, Bella ne supportait pas de se donner ainsi en public mais Gabriel avait le don de faire ressortir en elle son côté des plus sauvages. Et le fait qui vienne la mettre ainsi en porte à faux devant tous ses collègues ne fut pas une de ses meilleures idées. La jeune femme, et pourtant il en avait été témoin maintes et maintes fois, pouvait s'emporter très facilement, surtout lorsqu'on s'en prend à son chien. Il aurait du comprendre depuis le temps. « roh et, touche à un seul poil de Winter, et je te promet qu'il ne sera pas le seul à passer par le balcon ! » Les sourcils froncés, elle pointa un doigt réprobateur vers le jeune homme, profondément décidée à évacuer toute cette tension en elle, entre eux.

Dans cette salle au décor Belle Époque, ils sont là l'un en face de l'autre à se disputer devant toutes les danseuses. Cela ressemblait bien à une querelle amoureuse, mais en mettant un peu de distance entre eux, Gabriel n'a fait que ravivé l'attraction qu'il avait pour ce petit bout de femme. Depuis le début de leur rencontre ça n'a jamais était un long fleuve tranquille, non il y a eu beaucoup de haut comme de bas... cependant vaut mieux une dispute qu'un silence à condition de savoir la décrypter et de la dépasser, le chien n'était qu'un simple prétexte de façon à briser ce fameux silence. Notre jeune stewart est un de ces mecs que l'on dit « inaccessible », en effet de jour en jour il recule à l'idée d'avoir une femme pour partager sa vie. Plus besoin de devoir choisir quel côté du lit dormir, ni même de sacrifier son côté droit préféré ou encore tirer les couvertures pour rester au chaud. Il pouvait enchaîner les soirées entre garçons à volonté sans demander la permission. Mais cette longue traversée du désert risque de prendre une autre tournure... tragique ou tout simplement magique, l'avenir nous le dira ! Bien entendu, il aurait pu se conduire comme un gentleman et s'excuser en faisant monter la tension lors du dîner avec des effleurements, regards, sous-entendus et voix sensuelle, ensuite laisser sagement que les choses se fassent naturellement, mais Gabriel manque cruellement de tact avec les femmes. Aveuglée par un mélange de hargne et de sentiments, Gabriel était complètement perdu, est-ce que Bella l'a embrassé parce qu'elle était sous l'effet de l'alcool ? Ou ressent elle quelque chose pour notre jeune homme ? Tant de questions mais sans réponse. En elle y voit une personnalité affirmée mais sensible de femme forte et fragile à la fois, un doux mélange manifestement agréable et légèrement volcanique, de glace et de feu, même s'il doit en effrayer plus d'un, qui peuvent craindre... ce qui est le cas de notre jeune homme, oui elle l'impressionne et alors ? Il a peur, peur que cela ne soit pas réciproque, peur d'aimer trop, de bouleverser sa vie, de souffrir, de perdre son autonomie. « dis, juste comme ça, tu connais le principe d'une porte ? tu sais comme quoi une porte ça s'ouvre et ça s'ferme ? t'avais qu'à la fermer, ta chambre, au lieu de tout mettre sur le dos de mon chien ! » D'accord, il vrai que Gabriel jouait avec le feu en parlant du chien, en effet ce dernier pouvait ressentir la colère, la tension, l'énervement, l'ébullition à l'intérieur d'elle à des kilomètres. Ce n'était pas fute-fute de sa part de lui faire une scène devant toutes ses amies, néanmoins son égo a prit le dessus et se sentait tout permis comme la majorité du temps. « Oh, excuses moi, si je n'ai pas eu l'idée de fermer la porte, mais peut-être que si tu avais su dresser ton chien on ne serait pas là à se disputer. Alors ouvre les yeux, et pour une fois dans ta vie, arrêtes de dire que cela est de ma faute ! » Son regard se posa sur Bella, c'était un regard marron glacial et son retrait envers sa colocataire se marquait aisément sur son visage qui ne laisse transparaître aucune émotion si ce n'est que de l'antipathie. Ses yeux se laissaient emporter par la bouche de la jeune blonde, qui possédait des lèvres roses pâle, dont il n'aurait jamais l'audace de lui voler un baiser pour apprécier leurs textures douces. A cet instant un ange passa et le silence régna dans la salle, les collègues de Bella contemplaient l'accrochage, sans doute que cela les amuse ou les embarrasse du fait que Gabriel joue le trouble fait ? Mais Bella ne s'est pas éterniser pour rajouter « roh et, touche à un seul poil de Winter, et je te promet qu'il ne sera pas le seul à passer par le balcon ! » Un rire sournois se dessina sur les lèvres de Gab', en effet elle s'aventura sur une pente dangereuse « Des menaces ? Pourtant hier soir tu ne semblais pas vouloir te débarrasser de moi, j'avais plutôt l'impression que tu voulais te ruer dans mes bras ? Et le fait de hausser le ton comme ça c'est... oh je vois tu es en colère parce que je suis parti, et c'est sans doute la raison pour laquelle tu es si furieuse ? Car tu ne t'es jamais mise dans un tel état lorsqu'il s'agissait de Winterfell. » Gabriel avait il vu juste ? Ou serait-ce une imagination ? Dans les deux cas ce dernier sait qu'il avait touché une corde sensible.